Ce document porte sur les notions de dimension d’espace vectoriel, extensions de corps, trace de matrices, polynôme minimal et caractéristique, théorème de Cayley-Hamilton, formes quadratiques, nombres irrationnels, déterminant de Vandermonde, déterminant de Gram.
On passe un certain temps en premier cycle à démontrer que tout espace vectoriel de dimension finie admet une base ; de même, on démontre que toute forme quadratique admet une base orthogonale. Cependant, à ce niveau du cours, tous les espaces vectoriels de dimension finie considérés arrivent avec une base naturelle, et toutes les formes quadratiques utilisées sont données dans une base orthogonale.
Au niveau du programme de l’agrégation, il existe essentiellement deux exemples
d’espaces vectoriels de dimension finie pour lesquels il n’y a pas de base donnée à
priori :
– Le premier est formé par les solutions d’une équation différentielle
sur un intervalle borné. Sous des hypothèses ad hoc, le théorème
de Cauchy-Lipschitz affirme que l’espace vectoriel des solutions est de
dimension finie, mais il peut être difficile d’exhiber une base explicite de
solutions. Cet espace vectoriel est muni d’une forme quadratique naturelle,
, qui
ne fait référence à aucune base particulière.
– Le second exemple est de nature algébrique. Considérons un corps
engendré par un nombre fini de nombres algébriques sur
.
Ce corps est un espace vectoriel de dimension finie sur
. Les
nombres algébriques qui ont permis de le définir ne forment pas une base de
en général. Il existe une forme quadratique naturelle sur
, qui est donnée
par la trace : .
Dans ces deux exemples, il peut même être difficile de déterminer la dimension de l’espace vectoriel considéré. On va voir comment l’existence d’une forme quadratique peut aider à résoudre ce problème.
Définitions
Dans la suite, on s’intéresse au second exemple. Soit donc un corps de carctéristique différente de , une extension de dimension finie de . Notons la dimension de en tant que -espace vectoriel. Dans la suite, il peut être utile de faire intervenir une extension algébriquement close de contenant ; elle sera abusivement notée . On peut se restreindre à et si on veut.
Pour tout élément , on considère l’application -linéaire donnée par
La trace de cette application linéaire est un élément de
qui est
noté ,
ou encore s’il n’y a pas d’ambiguité sur les corps considérés,
. On vérifie immédiatement
que l’application est une
application -bilinéaire
symétrique définie sur .
Remarquons que si l’on se donne une base de
sur
, l’application qui
associe à la matrice de
dans cette base, réalise
un plongement de
dans l’algèbre .
Bien sûr, ce plongement n’est pas surjectif.
Voici une propriété des applications de la forme , qui ne sont pas vraies pour toutes les applications -linéaires.
Lemme
Le polynôme minimal
de est irréductible. Le
polynôme caractéristique
de est
égal à une puissance de son polynôme minimal.
Preuve
Commençons par montrer que le polynôme minimal de
est irréductible
sur .
Pour cela, rappelons que le polynôme minimal de
est le plus petit
polynôme non nul
de (au sens de la
division) qui vérifie .
Ce polynôme est irréductible : s’il était le produit de deux polynômes non constants
de ,
serait racine d’un de ces deux polynômes, et donc
ne serait pas minimal. Maintenant le polynôme minimal de
est égal au polynôme
minimal de en vertu
des deux relations :
et .
L’anneau étant factoriel, on peut décomposer sous la forme d’un produit , avec un entier et un polynôme premier à . Remarquons que n’a pas de racines en commun avec ; cela découle, par exemple, du théorème de Bezout. Si est non constant, aurait une racine dans qui ne serait pas racine de . C’est absurde car les racines de sont les valeurs propres de (dans ) et ces valeurs propres sont toutes racines du polynôme minimal .
Voici une conséquence de ce lemme : si
,
ne peut pas être nilpotente. En effet, s’il existe un entier
tel que
, le polynôme
minimal de divise
; comme il est irréductible,
il est égal à ,
donc .
Autre conséquence : si la caractéristique de
est nulle,
est diagonalisable
sur . De fait, en
caractéristique
(plus généralement si le corps est parfait), les polynômes irréductibles ont leurs racines
simples. Une matrice dont le polynôme minimal a ses racines simples est diagonalisable
(sur ).
Indépendance et trace
Voici comment utiliser la trace dans des questions d’indépendance linéaire.
Théorème
On se donne
des nombres premiers distincts. Alors les nombres réels
sont linéairement
indépendants sur .
Preuve
Rappelons que si
est une forme bilinéaire symétrique définie sur un espace vectoriel
, et si
sont des vecteurs
de , alors la
famille des
est libre si le déterminant de la matrice de terme général
est non nul (une combinaison
linéaire entre les
donne tout de suite une combinaison linéaire sur les colonnes de cette matrice ). Un
tel déterminant est appelé déterminant de Gram.
Ici, on considère comme -espace
vectoriel le corps engendré par les ,
et comme forme quadratique .
Il faut donc calculer les traces .
– Si , on
a , où
est la
dimension de
sur .
– Si , on remarque que le
polynôme minimal de
est égal à .
Son polynôme caractéristique est donc égal à
, pour un certain
entier . La trace
de est égale au
coefficient de
dans ce polynôme, elle est donc nulle.
Par conséquent, la matrice de terme général est diagonale, et ses termes diagonaux sont des entiers non nuls ; son déterminant est donc non nul. Les sont linéairement indépendants sur .
On peut calculer la dimension de ; pour cela, on considère la famille des où est une partie quelquonque de l’ensemble . (on pose si est vide). Cette famille possède éléments ; l’espace vectoriel qu’elle engendre coincide avec . Il suffit de vérifier que c’est une famille libre, ce qui se fait comme plus haut, en considérant les traces. La dimension recherchée est donc égale à .
Non-dégénerescence de la trace
Suffit-il de calculer le déterminant de la matrice de terme général pour savoir si la famille est libre ? Par exexmple, si est un sous-corps de , et si la forme quadratique associée à est définie positive, La réponse est oui. Ceci provient du fait que la restriction d’une forme quadratique définie positive à un sous-espace vectoriel est encore définie positive.
Si la forme quadratique n’est pas positive, ce n’est plus forcément vrai. Dès l’instant où la forme admet un vecteur isotrope (), on obtient un contre-exemple en considérant la famille libre composée de l’unique élément , pour laquelle on a . Cependant, si la forme quadratique est non-dégénerée, on a tout de même le résultat suivant.
Pour toute base , le déterminant est non nul.
Ce résultat n’est pas difficile ; cf par exemple Ramis-Deschamps Tome 2 1.1.2 prop 2 cor I. Cette référence comporte d’autres informations sur les déterminants de la forme , appelés déterminants de Gram. Au final, on obtient le critère suivant.
Soit une forme bilinéaire symétrique non-dégénérée. Pour qu’une famille génératrice soit une base, il faut et il suffit que soit non nul.
Dans le cas d’extensions de corps, il est facile de trouver des familles génératrices, si bien que la méthode présentée plus haut permet effectivement de determiner la dimension de l’extension, si la trace est non dégénérée :
Théorème
soit un corps de
caractéristique ,
et une extension
finie de .
Alors
est une forme bilinéaire symétrique non dégénérée.
Première preuve
Soit ; on veut montrer
que si pour tout ,
, alors
. Il suffit de
prendre . La trace
est égale à la
dimension de .
La caractéristique étant non nulle, cette trace est non nulle.
Seconde preuve
En prenant ,
, on
obtient ,
.
Soient les valeurs
propres de
dans , et
leurs multiplicités. On
a : . Par conséquent,
pour tout polynôme ,
on a :
En prenant , où le produit a lieu sur les valeurs propres de non nulles, on obtient que le produit des valeurs propres non nulles est nul, une absurdité (on vient d’utiliser , ce qui est vrai car la caractéristique est nulle). Toutes les valeurs propres de sont donc nulles, ce qui montre que le polynôme caractéristique de est égal à . On a donc (par le théorème de Cayley-Hamilton), , ce qui implique .
Remarque : en caractéristique , les polynômes symétriques élémentaires peuvent s’exprimer en fonction des sommes de puissances des racines ; il s’agit juste d’inverser les formules de Newton.
Troisième preuve
Sous la seule hypothèse de séparabilité, en utilisant le théorème de l’élément primitif
: L’extension
est de la forme ,
pour un certain .
Le polynôme minimal de est
égal au polynôme minimal
de
; il est donc irréductible, et ses racines sont simples (dans
; c’est la séparabilité).
Il est de degré , en
vertu de l’isomorphisme .
Comme il divise le polynôme caractéristique de
, il est
en fait égal à ce polynôme. On conclut que le polynôme caractéristique de
a ses racines simples. Par conséquent les valeurs propres
de
sont
de multiplicité 1.
Comme forme
une base de sur
, il suffit de montrer
que la matrice
est non dégénérée, c’est-à -dire que son déterminant est non nul.
où .
Le déterminant de
est un déterminant de Van Der Mond, qui peut être calculé explicitement :
Ceci termine la preuve.
Voici enfin un exemple d’extension pour laquelle la trace n’est pas définie positive : soit une racine dans de l’équation ( par exemple) ; l’extension est de degré sur . Le polynôme minimal de est égal à , son polynôme caractéristique est donc égal à . Par conséquent, la trace est nulle. Le nombre est un vecteur isotrope de la trace dans l’extension .
Toutes ces considérations sont classiques en théorie de Galois. Voici deux références pour en savoir plus : Ian Stewart, Galois Theory et Algebraic Theory of Numbers.