Programme et résumés

Horaire des exposés


Martin Andler (Versailles)
Fréchet et l'intégrale par rapport à une mesure abstraite
En 1915, en pleine Première Guerre mondiale, Fréchet publie aux Etats-Unis un article fondateur où il définit l’intégrale d’une fonction par rapport à une mesure sur un ensemble abstrait. Ce travail de Fréchet qui prolonge les travaux de Lebesgue s’inscrit dans la lignée de ses efforts entrepris depuis sa thèse pour définir des concepts en atteignant “immédiatement à la plus grande généralité” comme l’exprima Hadamard en préface d’un livre ultérieur. L’exposé présentera le contenu de cet article de 1915 et sa réception.

Michel Armatte (Paris)
Fréchet et la statistique mathématique : la campagne sur le coefficient de corrélation.
Entre 1933 et 1937, dans un contexte général de mise à jour de la nouvelle catégorie de « statistique mathématique », Fréchet mène, au travers d’une dizaine de publications, une campagne au sein de l’IIS contre les mésusages du coefficient de corrélation. Cette campagne passe par une enquête auprès de ses pairs, un débat entre plusieurs opinions, une motion mise au vote, et pour finir des propositions de nouvelles formules issues de ses propres travaux. Cet épisode permet de révéler la double attention de Fréchet aux pratiques empiriques des statisticiens de diverses disciplines et aux fondements mathématiques de ce ces pratiques, en particulier de ses propres recherches sur les espaces abstraits. De révéler aussi le jeu subtil entre vérité et opinion qu’il instaure au sein même des mathématiques appliquées.

Frédéric Barbaresco (Paris)
Le cours de Maurice Fréchet à l'IHP pendant l'hiver 1939, borne de Fréchet-Darmois, densités distinguées et géométrie de l'information
En 1943, deux ans avant C. R. Rao, Maurice Fréchet publie un article faisant référence à son cours pendant l'hiver 1939 à l'IHP, dans lequel il introduit la borne qui a été improprement appelée par la suite borne de Cramer-Rao. L'article traite du cas à une variable, mais son collègue Georges Darmois publie la version à plusieurs variables en 1945. Il serait donc plus juste d'appeler cette borne la borne de Fréchet-Darmois.  Au-delà de la découverte de cette borne, Fréchet a également étudié les "densités distinguées" (cas où la borne est atteinte), en vérifiant les relations liées à la transformée de Clairaut-Legendre. Cette transformée de Clairaut-Legendre constitue un des fondements de la structure fondamentale de l'actuelle "géométrie de l'information", dont Fréchet a entrouvert la porte, en montrant que l'inverse de la matrice de Fisher est la hessienne d'une fonction. Ces résultats n'ont été stabilisés mathématiquement que dans les années 1950 par Jean-Louis Koszul, doctorant d'Henri Cartan, étudiant la géométrie des cônes convexes saillants associés à des domaines bornés symétriques homogènes, développant ainsi l'idée séminale d'Elie Cartan.

Pascal Bertin (Paris) et Frédéric Jaëck (Aix-Marseille)
Dompter l’infini: Fréchet et la compacité.
Dès ses premiers travaux, Fréchet envisage, dans une recherche de généralité, le passage des fonctions définies sur les réels aux fonctions définies sur les espaces abstraits. Afin de garantir la généralisation de théorèmes bien connus dans le cas réel, Fréchet propose diverses notions (pré-)topologiques et en particulier une définition de compacité qui lui est propre. Notre approche philosophique s’attache à montrer comment la notion de compacité chez Fréchet est une manière particulière de travailler et de maîtriser un infini lié à sa notion d’espace abstrait. Nous montrerons que ce rapport à l’infini est différent de celui que l’on entend de nos jour lorsque l’on parle de compacité en topologie élémentaire.

Matthias Cléry (Paris)
Maurice Fréchet : enseignant de probabilités à la faculté des sciences de Paris (1928-1949)
Nommé maître de conférences de la chaire de CPPM en 1928, au lendemain de la création de l’Institut Henri Poincaré, puis professeur à cette chaire en 1941, Fréchet s’inscrit dans une dynamique impulsée par Émile Borel pour développer l’enseignement des probabilités à la faculté des sciences en l’articulant à la recherche et attirer de jeunes mathématiciens vers ce domaine. Sur la base des notes de cours de Jean-Louis Destouches et des polycopiés de cours publiés dans les années 1940, nous présenterons les enseignements de Fréchet à deux moments critiques pour cette dynamique : les premières années de l’IHP et la période de l’Occupation.

Eva Colebunders (Bruxelles)
Des espaces métrisables aux espaces définis par des jauges de métriques (généralisées).
Mon exposé s'appuie sur un article commun avec R.Lowen (Metrically Generated Theories, Proc. Amer. Math. Soc., 133, (5), (2005), 1547-1556). L'héritage de Fréchet est impressionnant et son travail a eu un impact extrêmement important sur le développement de la topologie générale. Ses espaces métriques et ses espaces topologiques métrisables sont le point de départ de l'émergence d'un large éventail de "catégories topologiques" étudiées en topologie. Nous n'en citerons que quelques-unes. La catégorie Top des espaces topologiques avec des fonctions continues a été créée comme un cadre abstrait pour étudier les limites ou la compacité. La catégorie Unif des espaces uniformes avec des fonctions uniformément continues est devenue le cadre abstrait de l'étude de la propriété de Cauchy ou de la complétude. La catégorie Prox des espaces de proximité avec des fonctions proximales a été créée pour décrire la proximité entre des ensembles et la catégorie App des espaces d'approche avec des contractions a été construite pour remédier au fait qu'un produit d'espaces métrisables n'est pas nécessairement métrisable. Nous montrons que toutes ces catégories topologiques, ainsi que de nombreuses autres, sont en un sens assez proches des espaces métriques. Pour chacune d'entre elles, une première observation est que pour une certaine catégorie d'espaces métriques (généralisés) avec des fonctions non expansives, le foncteur qui relie un espace métrique (généralisé) à l'objet métrisable associé possède les propriétés intéressantes que l'image est initialement dense et que le foncteur préserve les morphismes initiaux. Une deuxième observation est que la catégorie peut être décrite de manière isomorphique comme une catégorie d'ensembles dotée d'une jauge de métriques (généralisées). Nous montrons que les deux observations expriment essentiellement la même propriété que nous appelons métriquement engendrée. Le contexte global des espaces de jauge nous permet d'obtenir des théories unifiées sur les sous-catégories constituées d'objets séparés, leurs épimorphismes, l'existence d'objets initialement denses, la construction d'espaces de fonctions et la théorie de la complétion.

Jimmy De Groote (Paris)
La logique comme produit de l'expérience : la philosophie derrière Les Mathématiques et le concret. 
     C'est un fait bien connu que Fréchet a consacré une part substantielle de sa carrière à connaître et à faire connaître les probabilités. Le calcul des probabilités à la portée de tous (1924), écrit à quatre mains avec Halbwachs à partir des cours dispensés ensemble à l'Institut commercial supérieur de Strasbourg illustre bien l'exigence pédagogique qui accompagnait son activité scientifique (une exigence notamment suscitée par le besoin de compenser les retards accumulés par la France en matière de formation à la science statistique). Il s'agissait alors de présenter le calcul des probabilités en le dépouillant de ses atours techniques afin de favoriser son acquisition par "le médecin, le démographe, l'actuaire, l'agent d'assurance, etc", bref, toutes les personnes en situation de l'utiliser dans leur vie professionnelle ou privée. L'idée (d'aucuns diraient le pari) sous-jacente à cette entreprise est qu'il est possible de développer une compréhension intuitive, mais mathématiquement rigoureuse, des principaux résultats du calcul par l'application de notions algébriques élémentaires à des cas concrets tirés de l'expérience. Cette position repose sur une conviction forte, en rupture avec la thèse selon laquelle les mathématiques seraient de pures conventions formelles ou des tautologies : les probabilités possèdent un ancrage empirique, elles renvoient à quelque chose. Plus encore, leur mise en correspondance avec la réalité n'est pas indifférente à leur signification : elle atteste leur vérité, c'est-à-dire leur irréductibilité à l'arbitraire humain.
     Les Mathématiques et le concret, un recueil d'articles à destination du grand public édité en 1955, prolonge cette réflexion en embrassant une perspective plus vaste : comme son titre l'indique, il s'agit désormais d'interroger le lien entre l'expérience et les mathématiques en général. Il y est question des probabilités bien sûr, mais aussi de l'analyse, des ensembles, de la géométrie, de la théorie des groupes, etc. Ces efforts donnent notamment lieu, dans le deuxième article du premier chapitre, à ce qu'on pourrait appeler une généalogie empirique des notions mathématiques, qui se clôt sur la suggestion selon laquelle "la logique elle-même est un produit de notre expérience". On voudrait interroger la démarche que Fréchet poursuit dans son livre à la lumière de cette conclusion : comment y parvient-il ? Avec quels arguments ? Quels exemples ? À quelles fins ? Ce serait alors l'occasion pour nous de discuter la teneur philosophique de cette thèse en la comparant aux positions de Mill et de Quine, deux autres représentants importants de l'empirisme mathématique.

Georges Fréchet et Marianne Lederer
Maurice Fréchet intime
Les petits-enfants de Maurice Fréchet ont décidé de mettre au jour des souvenirs familiaux et intimes sur sa personnalité, comment ils l'ont ressentie, ce qu'ils en ont retiré comme enseignement pour leur propre vie ou simplement pour le pittoresque d'une personnalité complexe et attachante. Certains ont vécu avec lui plusieurs années dans son appartement, d'autres le voyaient plus occasionnellement mais ont été frappés par certains traits de sa personnalité. Ces témoignages seront précédés d'une présentation biographique centrée exclusivement sur les aspects non scientifiques, en particulier concernant sa jeunesse, son mariage et son comportement pendant les guerres mondiales grâce à des documents inédits.

Maria Carla Galavotti (Bologne)
Maurice Fréchet et la synthèse inductive
Profondément convaincu que la notion de probabilité doit être abordée du point de vue de ses applications, Fréchet estime que les mathématiques des probabilités ne peuvent faire tout le travail et doivent être étayées par un examen attentif du cas étudié. Pour jeter un pont entre la théorie mathématique abstraite des probabilités et ses applications, une combinaison d'éléments empiriques et axiomatiques est nécessaire. Un rôle fondamental est joué à cet égard par ce que Fréchet appelle la synthèse inductive. L'idée de base de cette procédure est que les axiomes doivent être précédés par l'acte de vérifier si, dans des situations pratiques, les axiomes s'appliquent aux phénomènes étudiés. En d'autres termes, la mesure des probabilités nécessite une synthèse entre la théorie axiomatique et un certain nombre de considérations relatives aux situations pratiques. Cette synthèse inductive est la pierre angulaire de l'interprétation des probabilités de Fréchet, qu'il qualifie de "théorie axiomatique modernisée". Les principales caractéristiques de la conception des probabilités de Fréchet seront illustrées, ainsi que sa critique d'autres interprétations, notamment le fréquentisme et le subjectivisme.

Angelo Guerraggio (Varese)
Maurice Fréchet et les mathématiciens italiens.
Les bonnes relations d'Hadamard avec ses collègues italiens (Volterra en particulier) et la publication en 1906 de sa thèse dans les "Rendiconti del Circolo Matematico di Palermo" ont permis à Fréchet d'avoir un accès privilégié aux mathématiciens italiens les plus renommés. J'analyserai ici ses relations avec les analystes italiens (Volterra mais aussi Arzelà, B. Levi, et Tonelli), en mettant l'accent sur les échanges d'idées et les éclaircissements apportés sur les premiers développements de l'analyse fonctionnelle, ainsi que sur la collaboration développée au niveau institutionnel pour les congrès internationaux de mathématiques.

Snezana Lawrence (Londres)
Les réseaux de Kurepa
Cet exposé portera sur les travaux de Đuro Kurepa (1907-1993), l'un des deux doctorants yougoslaves de Maurice Fréchet (le second étant le statisticien Slobodan Zarković). Kurepa est né dans une famille nombreuse ; de cette famille est également issu un autre mathématicien yougoslave célèbre, le neveu de Đuro, Svetozar (1929-2010). Đuro (George) Kurepa a étudié les mathématiques à l'université de Zagreb, où il a obtenu son diplôme en 1931. Kurepa a commencé ses études supérieures au Collège de France en 1932 et a soutenu sa thèse de doctorat Ensembles ordonnés et ramifiés à la Sorbonne en 1935. Maurice Fréchet (1878-1973) en est le principal encadrant, le second étant Vladimir Varićak (1865-1942), professeur à l'université de Zagreb, professeur de Milena Marić-Einstein (1875-1948), et correspondant d'Einstein. Fréchet disposait déjà d'un vaste réseau de collègues qui appréciaient hautement ses contributions. En particulier, il semble qu'il ait eu un impact durable sur les collègues d'Europe de l'Est, tels que Nikolai Luzin (1883-1950), Wacław Sierpiński (1882-1969) et Pavel Aleksandrov (1896-1982). Kurepa poursuit la coopération avec Sierpiński et part travailler à l'université de Varsovie avec lui. Il retourne à Paris en 1937. Pendant son séjour à Paris, il est nommé professeur à l'université de Zagreb, où il demeure de 1937 à 1965. Après la Seconde Guerre mondiale, Kurepa se rend aux États-Unis et séjourne dans les cinq principales universités américaines : Harvard, Chicago, Californie à Berkeley, Los Angeles et l'Institute for Advanced Study de Princeton. Il passe un semestre d'été 1959 en tant que professeur au Teachers' College de l'université de Columbia, à New York, et un semestre de printemps en tant que professeur invité à l'université du Colorado à Boulder en 1960. Les travaux mathématiques de Kurepa sont connus. Ce qui l'est peut-être moins en dehors de son pays (qui a fini par se désintégrer), c'est son travail sur la mise en place et le développement d'institutions mathématiques et son travail sur la transmission de valeurs par l'enseignement des mathématiques, comme l'illustrent ses écrits et les discours prononcés en tant que vice-président de l'ICMI. Cet exposé portera sur les réseaux de coopération de Kurepa et tentera d'établir une vue d'ensemble des parallèles avec les réseaux développés par Fréchet.

Laurent Mazliak (Paris)
Les échanges entre Paul Lévy et Maurice Fréchet: à la source des probabilités modernes
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Paul Lévy prend contact avec Maurice Fréchet, inaugurant une correspondance qui va s'étendre pendant près de cinquante ans. Même si malheureusement nous ne possédons quasiment aucune lettre de Fréchet à Lévy, notamment parce que pendant l'Occupation, l'appartement parisien de Lévy fut pillé par la Gestapo, les quelques 120 lettres de Lévy contenues dans le fonds Fréchet de l'Académie des Sciences constituent un document inestimable pour suivre la trajectoire de Paul Lévy au moment le plus créatif de sa carrière quand il effectua un impressionnant virage de l'Analyse fonctionnelle vers les probabilités dont il devait devenir très rapidement comme on sait un des leaders mondiaux. Dans de nombreux cas, les lettres à Fréchet donnèrent à Lévy une première occasion pour mettre au propre ses idées et proposer des ébauches de démonstration de résultats fondamentaux. Particulièrement significatifs sont les premiers échanges qui font assister, presque au jour le jour, à la façon dont Lévy va commencer à penser les concepts d'analyse fonctionnelle sous une forme probabiliste. Autre période capitale, les longs mois de clandestinité entre 1942 et 1944 où Paul Lévy, interdit de publication à cause des lois raciales, utilise cette correspondance pour prendre date sur les nombreux résultats qu'il découvre sur le mouvement brownien qui composeront la trame de son livre de 1948. Dans l'exposé, je donnerai quelques indications sur la genèse de cette correspondance au dessus de laquelle planent les figures de Borel et Hadamard et j'en commenterai certains moments importants.

Quentin Menet (Mons)
Propriétés dynamiques des opérateurs sur les espaces de Fréchet 
Le nombre d'objets mathématiques auxquels le nom de Fréchet est associé est impressionnant : dérivée de Fréchet, distribution de Fréchet, filtre de Fréchet, ... Comme le titre le suggère, nous nous intéresserons dans cette présentation à l'un d'entre eux : les espaces de Fréchet. Cette famille d'espaces se situe entre les espaces de Baire et les espaces de Banach et contient des exemples importants en analyse fonctionnelle : l'espace des fonctions holomorphes sur le plan complexe, l'espace des fonctions réelles infiniment différentiables, l'espace de Schwartz, ... Les espaces de Fréchet forment également un cadre favorable pour la théorie des opérateurs en permettant d'appliquer le théorème de Banach-Steinhaus, le théorème de l'application ouverte et le théorème d'extension continue de Hahn-Banach. Au cours de cet exposé, nous étudierons les propriétés dynamiques des opérateurs sur les espaces de Fréchet telles que l'hypercyclicité (reposant sur l'existence d'une orbite dense) ou la cyclicité qui est liée à l'existence de sous-espaces invariants. Nous partirons donc des débuts de la dynamique linéaire avant d'aborder des problèmes récents liés aux espaces de Fréchet. 

Pierre Mounier-Kuhn (Paris)
L’IHP, du calcul mécanique à l’informatique
L’investissement de l’Institut Henri-Poincaré dans le calcul scientifique remonte aux années 1930 et découle de sa vocation, à l’interface des Mathématiques et de la Physique. La mobilisation scientifique en 1939-1940 intensifie les besoins de calcul et de modélisation pour des applications techniques très variées. Elle motive à la fois le développement des bureaux de calcul et la mise en chantier d’une grosse machine à calculer, qui fait l’objet de deux projets concurrents : celui de Maurice Fréchet et celui de Louis Couffignal. La débâcle militaire y met fin et, après la guerre, c’est le CNRS qui prend la main dans le domaine du « calcul mécanique ». Toutefois l’IHP maintient un service de calcul numérique qui travaille à la demande des établissements publics de recherche et s’équipe en 1957 d’un calculateur électronique Bull – l’un des tout premiers dans l’Université française. Il accueille aussi depuis 1947 les séminaires d’un groupe de calcul numérique animés par Lacroix de Lavalette, un amateur enthousiaste, et par Paul Belgodère, le bibliothécaire de l’IHP ; ce groupe deviendra la société savante des informaticiens. L’IHP, dans son environnement intellectuel et institutionnel, apparaît ainsi comme l’un des berceaux de la recherche française en informatique.

Mathurin Passard (Lyon)
Fréchet et le colloque de Lyon sur les probabilités de 1948. Relancer les mathématiques du hasard en France.
Mon exposé est consacré au colloque « Le calcul des probabilités et ses applications » organisé à Lyon en 1948 par Maurice Fréchet et Henri Eyrault (directeur de l’Institut de Sciences Financières et d’Actuariat de Lyon). Ce colloque occupe une place singulière dans une France qui doit se reconstruire à l'après-guerre tout en réaffirmant sa place scientifique à l'international. Fréchet a voulu donner aux probabilistes et statisticiens français, majoritaires lors de l'événement, une occasion de rayonnement international et de rencontre avec d'importants acteurs étrangers de développements récents (tel le mathématicien américain Joseph Doob qui exposa à Lyon pour la première fois sa théorie des martingales). L'organisation de ce colloque fut aussi pour Fréchet un prétexte pour promouvoir l’interaction entre l’économie et la théorie des probabilités en mettant en avant l'ISFA - établissement d’accueil de l'évènement - comme laboratoire de recherche sur ces questions.

Thomas Perfettini (Montpellier)
Le voyage de Maurice Fréchet en Europe de l'Est en 1935
A l'automne 1935, Maurice Fréchet entreprend un voyage de plusieurs semaines en URSS et en Europe de l'Est. De Sofia à Moscou, en passant par Lwow ou Bucarest, il promeut à travers diverses conférences les mathématiques françaises et cultive les liens qu'il a su développer avec des acteurs d'écoles mathématiques parfois encore jeunes et en plein développement. Dans mon exposé, je présenterai les différents aspects du voyage du mathématicien en précisant les conditions, personnelles et géopolitiques, dans lesquelles celui-ci survient. Par ailleurs, je tâcherai de donner quelques précisions sur les thèmes mathématiques évoqués lors des différentes étapes de ce voyage.

Julien Pomart (Paris)
Une présentation des archives de Maurice Fréchet
Quelles archives a laissé Maurice Fréchet ? La conférence organisée à l’occasion du cinquantenaire de sa disparition constitue une occasion pour les Archives de l’Académie des sciences de présenter ce fonds ainsi que les travaux de traitement récemment menés. En partant du recensement rapide des cartons opéré sous le regard du scientifique pour arriver au classement et à la description archivistiques, nous analyserons la composition générale et l’évolution de la structuration du fonds, ainsi que les éléments particulièrement susceptibles d’attirer l’attention de la communauté scientifique.

Gatien Ricotier (Strasbourg)
Maurice Fréchet et Bourbaki : les chemins croisés de collègues éloignés.
Les chemins géographiques, mathématiques et philosophiques des membres de Maurice Fréchet et de Bourbaki se sont croisés à plusieurs reprises mais n'ont jamais vraiment duré, ce qui ne s'explique pas seulement par l'écart entre les années de naissance de ces mathématiciens. Cette situation reflète les similitudes de leurs carrières ainsi que leurs points de vue opposés. Dans cet exposé, je donnerai un aperçu des interactions entre ces deux générations et j'explorerai les origines et les conséquences de leurs désaccords.

Norbert Schappacher (Strasbourg)
Les années strasbourgeoises de Maurice Fréchet
La décennie que Maurice Fréchet passe à Strasbourg après la Grande guerre est marquée d’emblée par son rôle important pour la mise en place de l'Université de Strasbourg à l’intérieur des bâtiments hérités de la période allemande. Partant de la manière dont Fréchet assuma ce rôle, l’exposé va ensuite insister sur certains de ses contacts collégiaux sur place, et terminer avec un regard sur l’orientation de ses recherches pendant cette période.

Glenn Shafer (Rutgers)
Maurice Fréchet a donné son nom au principe de Cournot. Qu’a-t-il nommé ?
Jacob Bernoulli a hérité des scolastiques le principe selon lequel une probabilité suffisamment élevée fournit une certitude pratique. L'originalité d'Antoine Augustin Cournot a été de voir dans ce principe un pont entre les mathématiques et le monde objectif. La dénomination a commencé avec Alexandre Chuprov et a culminé avec Fréchet. Fréchet a avancé deux opinions : (1) Le principe de Cournot soutient la conception de Fréchet de la probabilité en tant que grandeur physique. (2) On doit définir un événement considéré comme impossible en raison de sa faible probabilité avant de réaliser l'expérience.

Reinhard Siegmund-Schultze (Kristiansand)
Correspondance entre Fréchet et von Mises dans les années 1930 sur les fondements de la théorie des probabilités
Entre 1935 et 1941, Fréchet entretient une correspondance d'une vingtaine de lettres et cartes postales en français avec le probabiliste Richard von Mises (1883-1953). Von Mises est alors réfugié à Istanbul et entre à l'université de Harvard en 1939. Il est connu pour sa définition de 1919 de la probabilité comme limite de la fréquence relative de l'occurrence d'un événement, qui a été contestée par les probabilistes dès le début et qui a été l'un des nombreux points de discussion entre les deux correspondants. La raison immédiate de la correspondance était le livre en deux volumes de Fréchet sur les probabilités dans la Collection Borel, qui a été publié en 1937/38. Von Mises a lu les épreuves des deux volumes, et la discussion, outre le problème de la définition, portait surtout sur les positions des deux mathématiciens vis-à-vis de la "méthode des fonctions arbitraires", sujet principal du volume II de Fréchet. Un autre point important de la correspondance était les conférences données par von Mises à l'ICM de Zürich en 1932 et par Fréchet à l'ICM d'Oslo en 1936. Dans sa conférence de section à Oslo, Fréchet s'est montré très critique à l'égard de l'exposé de von Mises à Zurich, ne limitant pas sa critique à la définition de la probabilité. Ce différend s'est poursuivi lors du colloque sur la théorie des probabilités qui s'est tenu en octobre 1937 à Genève sous la direction de Fréchet. Von Mises n'était pas présent mais a soumis deux articles qui ont été publiés dans les Actes, l'un des deux étant fortement critique à l'égard de la présentation de Fréchet au colloque. Le colloque de Genève a également été abordé dans la correspondance qui traitait de sujets marginaux tels que la communication dans des conditions de guerre et l'aide aux réfugiés juifs.

Maud Thomas (Paris)
Distributions limites du maximum d'un échantillon
Fréchet a étudié la distribution de probabilité du maximum d'un échantillon de variables indépendantes de même distribution donnant lieu à l'article de 1927 "Sur la loi de probabilité de l'écart maximum". La distribution de Fréchet joue un rôle essentiel dans la théorie des valeurs extrêmes. C'est l'une des trois distributions max-stables à partir desquelles le domaine de Fréchet est dérivé, correspondant à la famille des distributions à queues lourdes. Dans cet exposé, nous étudierons les distributions limites du maximum d'une séquence de variables aléatoires et la famille des distributions à queue lourde. Nous verrons également quelques exemples d'applications.

Laura E. Turner (Monmouth)
Fréchet en Amérique : Transmettre les idées modernes aux étudiants
L'une des facettes du transfert des travaux et des idées de Fréchet aux États-Unis concerne les étudiants américains. Ce transfert est parfois indirect, par le biais d'un livre, d'un cours donné par un professeur américain, ou d'un rapport sur les travaux de Fréchet par un camarade étudiant lors d'une réunion d'un club de mathématiques. D'autres fois, cependant, les étudiants sont entrés en contact avec Fréchet lui-même. Les interactions de Fréchet avec les étudiants américains se sont étalées sur plusieurs décennies - et donc sur plusieurs étapes de sa carrière - à partir des années 1920, une visite prévue en 1914 ayant été contrecarrée par la Première Guerre mondiale. De plus, ses visites aux États-Unis l'ont amené à visiter diverses institutions à travers le pays, notamment l'université de Columbia, l'Illinois Institute of Technology et l'université d'État de l'Oregon. En particulier, lors de sa visite à l'université de Chicago en 1924, il a donné deux cours avancés, l'un sur la théorie des ensembles abstraits et l'autre sur la théorie des probabilités, au cours du trimestre d'été. En outre, le transfert de ses idées, que ce soit directement ou indirectement, a eu lieu dans différents contextes et à différents niveaux, allant d'articles sur les mathématiques à destination du grand public et de descriptions du système académique français à des réflexions sur des travaux avancés. Dans cet exposé, nous aborderons un certain nombre d'interactions de Fréchet, directes et indirectes, avec des étudiants américains, dans le but d'acquérir une compréhension plus complète de ses activités mathématiques et de leurs nombreux contextes.